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Ils étaient lancés à la poursuite de Janus depuis vingt et un jours révolus, et les nouvelles parvenaient à Svetlana par l’intermédiaire de Parry. Janus poursuivait son obligeante décélération, à quoi Bella avait répondu en ramenant la vitesse du Rockhopper à un dixième de g. Le vaisseau allait bientôt rejoindre son poste d’observation, dix mille kilomètres derrière Janus.

Si l’ancienne lune continuait à décélérer, elle se déplacerait bientôt à vitesse constante. Le Rockhopper devait se maintenir pendant vingt-quatre heures à une distance de dix mille kilomètres, puis se rapprocher à environ mille kilomètres de sa surface. Si Janus le tolérait, le vaisseau se rapprocherait encore. Le troisième jour, des robots et des véhicules autonomes se poseraient sur l’artefact, puis les humains, si rien ne se passait. Le quatrième jour, ils se limiteraient à une exploration de surface et si tout se déroulait bien, au cinquième jour, ils tenteraient de récolter quelques échantillons physiques de l’engin. Ils se borneraient d’abord à des prélèvements microscopiques et enverraient le tout au Rockhopper, toujours posté à bonne distance. Si cette récolte ne déclenchait rien, ils prélèveraient des échantillons plus conséquents. Le sixième jour, le Rockhopper s’en irait et Janus s’enfoncerait dans la nuit pour son long voyage vers Spica.

Ils n’avaient toujours aucune nouvelle du QG.

Svetlana apprit par son informateur que l’équipe technique venait de passer dix-neuf heures sur le problème, sans entrevoir aucune solution.

Parry lui tendit un flexi.

— Bella commence à s’énerver, Svieta, lui dit-il. Sinon, elle aurait refusé ton aide.

— Elle veut que je jette un coup d’œil ?

— Elle dit que si tu arrives à découvrir quelque chose, tant mieux.

Svetlana parcourut du bout des doigts l’écran au toucher de cuir ; elle naviguait à nouveau sans aucune restriction d’accès sur tout le réseau ShipNet.

— Elle me laisse combien de temps ?

— Celui qu’il te faudra. Tu trouveras dans ta boîte de réception une note technique décrivant tout ce qu’ils ont tenté pour l’instant. Ça pourra te servir. Et ne cherche pas à ralentir ou arrêter le vaisseau. Si tu t’approches d’un système critique, ton accès sera bloqué. C’est Bella qui m’a dit de te préciser ça.

— Qui a dirigé cette équipe d’intervention ?

— Belinda Pagis et Mencheng Yang. Ils ont travaillé jour et nuit.

Svetlana hocha la tête. Les deux personnes qu’elle aurait choisies elle-même pour régler ce genre de problème.

— Est-ce que quelqu’un a effectué une EVA ?

— Non. Vu la situation de l’antenne, c’est trop dangereux, avec la poussée. Je n’enverrai jamais quelqu’un de mon équipe à l’extérieur dans ces conditions.

Elle n’en attendait pas moins de lui.

— Et les robots, alors ?

— Jens Fletterick l’a examinée avec un robot télécommandé… Tu trouveras le fichier vidéo dans la note technique. L’antenne ne semble présenter aucun dégât externe ; ses servo-systèmes sont en bon état, mais tu verras peut-être quelque chose qui a échappé aux autres.

— OK, je m’y colle, dit-elle d’un air dubitatif. Jens, il est encore au boulot ?

Parry loucha vers sa grosse montre de plongeur à écrans multiples.

— Je ne crois pas, lui répondit-il. Il doit être en train de récupérer. Pourquoi ?

— J’aimerais parler à quelqu’un de l’équipe des roboticiens, lui ou un autre.

— Il va falloir que Bella soit d’accord. À quoi penses-tu ?

— Il y a peut-être un truc à tenter…

 

 

Janus se détachait dans le ciel du Rockhopper, aussi gros que la pleine lune vue de la Terre, lumineux poing serré saupoudré de minuscules îlots de glace flottant sur des océans de mécanismes noirs et étincelants.

Le Rockhopper en était désormais indiciblement proche ; vingt mille petits kilomètres à peine le séparaient de cette surface qui semblait faite de machines coagulées. Bientôt, les humains allaient réduire de moitié cette distance et adopter prudemment la même vitesse que Janus. Pour l’instant, ils n’avaient observé aucune réaction de la part de l’objet étranger, aucun avertissement leur enjoignant de garder leurs distances. Par ailleurs, la lune avait ralenti, certes, mais rien ne leur disait que c’était pour les inciter à s’approcher d’elle davantage.

Quand l’infirmière et Svetlana arrivèrent, Bella terminait une cigarette. Il n’y avait aucun contact physique entre la prisonnière et sa gardienne, mais Judy Sugimoto ne s’éloignait jamais de plus d’un mètre. Discrètement, mais pas assez pour que Svetlana ne s’en aperçoive pas, Sugimoto tenait une seringue de calmant, prête à la lui planter dans le bras si elle se mettait à faire des siennes.

— Vous n’auriez pas dû vous donner tout ce mal. On aurait pu se voir chez moi, ricana Svetlana.

— On aurait pu se voir chez toi pour une discussion en tête à tête. Ce n’était évidemment pas une option, répliqua Bella.

Assis derrière le bureau de Bella, Craig Schrope fit cliquer son stylo et se carra dans son siège.

— Alors comme ça, d’après Parry, vous auriez une idée à nous soumettre, pour l’antenne ?

— J’ai demandé à voir Saul Regis ! protesta Svetlana.

— Il arrive. En attendant, nous aimerions savoir pourquoi vous voulez le voir. Nous avons déjà envoyé un robot en reconnaissance et l’antenne ne présente aucune trace de détérioration. D’autre part, les logiciels de diagnostic n’ont signalé aucun problème mécanique.

Craig caressa sa mâchoire rasée de frais.

— Allons, que se passe-t-il, Barseghian ? insista-t-il. Vous croyez vraiment qu’un robot peut nous aider ? Vous ne mijotez pas un nouveau coup fourré pour saboter la mission, j’espère ?

Il avait prononcé son nom de famille avec un soin exagéré, comme si tout le monde le prononçait mal à part lui. Svetlana fit un pas dans sa direction, furieuse.

— Je fais ce que je peux pour vous aider, espèce de petite merde prétentieuse !

— Du calme… dit Schrope en claquant des doigts à l’attention de Judy Sugimoto.

Confondue mais docile, l’infirmière rattrapa gentiment Svetlana et la fit reculer.

— J’apprécie vraiment ta proposition d’aide, s’interposa Bella en choisissant soigneusement ses mots. Après tout, dans la mesure où je t’ai suspendue de tes fonctions et placée en état d’arrestation, tu n’as plus aucune obligation à mon égard.

— Où veux-tu en venir ?

— Tu ne m’as jamais déçue, voilà où je veux en venir. Malgré ce qui nous arrive, je suis extrêmement fière de t’avoir eue pour amie. J’espère de tout cœur qu’un jour nous pourrons…

Schrope coupa sa supérieure :

— Vous avez visionné la vidéo ?

— Oui, répondit Svetlana.

— Cette antenne présente-t-elle des anomalies ?

— Non, aucune, répliqua Svetlana, tournée vers Bella. Le système me paraît OK, que ce soit à l’extérieur ou en interne. Et c’est pour cela que j’ai besoin de Saul. J’ai une autre hypothèse, que nous pourrons confirmer ou infirmer avec son aide.

— Continuez, dit Craig Schrope.

Bella répondit à la place de Svetlana :

— D’après Parry, tu veux demander à Saul de lâcher un robot spatial derrière le vaisseau, avec le risque de le perdre. C’est bien cela ?

— Oui. Nous pourrions y envoyer des instruments de mesure sans le robot, mais avec un robot, ça ira plus vite.

— Qu’est-ce qui t’inquiète ?

— Je vais te le dire, mais je veux négocier d’abord.

Schrope fit un brusque signe de tête à Sugimoto.

— Emmenez-la. J’en ai assez entendu.

L’air contrit, Sugimoto s’avança vers Svetlana, mais Bella lui fit signe de s’arrêter.

— Je ne peux pas te libérer, Svieta. Tu le sais très bien, dit-elle à son ancienne amie.

— Je sais aussi que tu ne feras pas faire demi-tour à ce vaisseau, en tout cas pas avant d’avoir examiné Janus de plus près. Je m’y suis résignée. Je t’aiderai pour l’antenne… si tu es d’accord pour autre chose.

Suspendue à ses lèvres, Bella l’invita à poursuivre d’un petit geste de la main.

— Au lieu de passer cinq jours dans le voisinage de Janus, je te propose de n’en passer qu’un seul. Vingt-quatre heures entièrement consacrées à l’étude de cette lune…

— C’est tout à fait hors de question ! fulmina Schrope.

— Écoutez-moi jusqu’au bout, insista Svetlana. En vingt-quatre heures, nous aurons le temps d’effectuer tout un tas de relevés scientifiques. Pas la peine d’envoyer quelqu’un sur Janus, les robots s’y poseront à notre place. Et nous pouvons les y laisser en repartant ! Tant que le décalage temporel sera supportable, nous continuerons à les contrôler à distance ! Et même après, nous pourrons encore leur envoyer des séquences de commandes. Ils poursuivront leur exploration de Janus pendant que nous retournons à la maison !

— Vous ne nous apprenez rien de nouveau, lui fit remarquer Schrope. Tout cela était déjà prévu dans le plan.

— Sans moi, pas de liaison montante.

— Si vous arrivez à la rétablir. Je ne sais pas pourquoi mais j’ai l’impression que vous bluffez.

— Je ne peux pas accepter ce marché, intervint Bella en secouant la tête. Pourquoi avoir fait tout ce voyage au nom de l’espèce humaine tout entière si c’est pour tourner les talons dès que nous aurons atteint notre objectif ?

— Tu auras vingt-quatre heures, Bella ! C’est encore beaucoup ! Si tu prends un peu moins de précautions que prévu, tu pourras atteindre la majorité des objectifs, j’en suis sûre !

— Regarde ce foutu machin ! s’exclama Bella en lui désignant l’image de Janus. Regarde-moi ça et ose me dire qu’il ne faudrait pas un siècle pour lui rendre justice !

— D’accord. Dans ce cas, cinq jours non plus, ce n’est pas assez, souligna Svetlana avec une logique implacable. Du coup, un jour ou cinq, quelle importance ?

Bella ferma les yeux. Comment en était-on arrivé là ? Elle aurait voulu pouvoir quitter son bureau, se reposer un peu et revenir à ce moment précis de la conversation, mais cette fois affûtée comme un outil neuf.

— Très bien, je vais te faire une concession : nous consacrerons trois jours à Janus.

— Toujours inacceptable, s’interposa Schrope.

— Pour la première fois de ma vie, je suis d’accord avec Craig, lui dit Svetlana d’un ton de regret qui paraissait sincère. Trois jours, c’est trop long.

— C’est ma dernière offre, conclut Bella.

On frappa à la porte. Saul Regis entra et étudia les personnes présentes dans la pièce avec sa sérénité reptilienne coutumière, ne laissant paraître ni surprise ni intérêt particulier.

— Vous avez eu l’occasion de vous racheter, lâcha Schrope à Svetlana. Vous l’avez gâchée, mais peu importe. Je crois avoir deviné ce que vous avez en tête.

— Je t’en prie, Svetlana ! C’est ta dernière chance ! Aide-nous ! Donne-nous un coup de main et ensuite on pourra peut-être en reparler.

— Je veux d’abord des garanties en béton. Sinon, vous vous passerez de moi.

Schrope frappa dans ses mains.

— OK, nous avons terminé ? Saul, pouvez-vous vous passer d’un robot spatial ? Je suis prêt à parier que l’idée de Svetlana était de lâcher derrière le vaisseau un robot équipé d’un récepteur radio réglé sur la fréquence et la puissance du signal émis par la Terre. Je me trompe ? demanda-t-il en se tournant vers la jeune femme avant de revenir à Regis : Si notre antenne montante fonctionne bien, pourquoi ce problème avec le signal ?

— Où voulez-vous en venir ? s’enquit Bella en se tournant instinctivement vers Svetlana.

À sa grande surprise, la jeune femme accepta de lui répondre.

— La réception est normale. Le problème ne vient pas de nous, lui dit-elle d’un ton résigné, comme si elle avait compris qu’elle ne gagnerait rien à se taire.

— Mais de la Terre, c’est ça ?

— Oui, c’est l’idée, dit Schrope. Et pour en avoir le cœur net, nous devons mener quelques tests.

Bella refusait d’accepter cette réponse.

— Il nous arrive parfois de ne plus pouvoir communiquer avec la Terre, mais jamais pendant plus d’une minute, et chaque fois parce qu’ils ont un problème d’alignement. Cette fois-ci, ça dure depuis vingt-trois heures !

— Donc, c’est un pépin sérieux, dit Schrope en haussant les épaules.

— Ils ont sûrement verrouillé une antenne-relais sur nous, non ?

— Pas s’ils ne se sont pas aperçus du problème. Tout paraît peut-être normal de leur côté. Nous sommes dans le noir depuis vingt-trois heures… Et depuis, nous n’arrêtons pas de leur envoyer des signaux d’erreur ! Il y a treize heures de décalage entre nous, donc ils devraient déjà avoir reçu les premiers signaux, mais même s’ils leur donnent suite aussitôt, nous ne le saurons pas avant au moins trois heures.

Bella mit quelques instants à digérer l’information. Elle se représenta mentalement le réseau informatique des transmissions radio : d’une densité maximale, les télécommunications autour du Soleil s’effectuaient sous forme de signaux à haute puissance compressés en faisceaux très fins entre émetteurs et récepteurs bien précis. Un seul canal avait été dévolu au Rockhopper, et son faisceau transportait chaque bit d’information transmis entre le vaisseau et la Terre, depuis les fichiers textes jusqu’aux flux de données des réseaux d’informations. Le Rockhopper était bien trop loin pour intercepter d’autres signaux, sauf si on les envoyait délibérément dans sa direction.

— Et nous ne captons rien d’autre ? insista Bella. Aucun signal omnidirectionnel ?

— Non, ils sont trop faibles, répondit Schrope. Même les balises dont nous avons connaissance sont trop loin.

— Toutes ? Et celle que nous avons abandonnée derrière nous ? La balise placée sur la catapulte déployée pour notre dernière comète ?

— Elle est déjà très loin…

— Mais c’est quand même la plus proche ! Vous y avez pensé ? Vous l’avez testée ?

— J’en aviserai l’équipe technique, lui assura Schrope.

— Et mon robot, vous le voulez toujours ? leur demanda Saul Regis de son ton éternellement traînant et ensommeillé.

— Oui, dès qu’il sera prêt, lui répondit Bella. Il faudrait que tu le règles en fonction de la fréquence et de la puissance du signal terrestre. En tenant compte de l’effet Doppler, bien sûr.

— Bien sûr, la rassura laconiquement Regis.

— Tu peux faire ça très vite ?

— Oui. Mon robot sera prêt au lancement dans une heure.

— Vas-y, dans ce cas. Nous allons enfin avoir un début de réponse, on dirait, soupira Bella. Nous sommes coupés de la Terre depuis trop longtemps, et je n’aime pas cela. Ça me rend nerveuse.

Elle se tourna à nouveau vers Svetlana.

— Je suis désolée. J’aurais aimé parvenir à un accord avec toi. Mais je t’ai donné ta chance.

— Moi aussi.

 

 

Bella observa les trois roboticiens qui achevaient leurs préparatifs dans le sas de chargement. Jens Fletterick et Eva Hinks comparaient les données apparaissant sur les écrans de leurs flexis reliés par câble aux ports du châssis tubulaire jaune du robot. Derrière ses deux coéquipiers, Saul Regis surveillait en silence le bon déroulement des opérations, concentré, prêt à intervenir si l’un d’eux commettait une erreur. Cloués au sol par leurs chaussures, tous trois avaient l’allure vaguement artificielle des gens debout en apesanteur.

Qualifier de « robot » ce machin gros comme une armoire est quelque peu exagéré, se dit Bella. Il s’agissait essentiellement d’un réservoir de carburant alimentant un minuscule moteur à réaction, à suspension cardan et à combustion nucléaire. À la vitesse d’un quart de g, ce robot pouvait suivre le Rockhopper pendant six heures avant d’avoir besoin de refaire le plein, mais le problème ne se posait plus : ayant maintenant rejoint son poste d’observation, le Rockhopper était désormais en chute libre, si l’on ne tenait pas compte de la petite poussée nécessaire pour le maintenir à distance constante de Janus. Cependant, pour que l’on puisse considérer les émissions radio du robot comme une approximation réaliste du signal montant, l’engin allait devoir s’éloigner du Rockhopper de façon significative, avait expliqué l’équipe technique à Bella, qui avait décidé de ne pas attendre que le robot se traîne aussi loin à vitesse réduite sous prétexte d’économiser le carburant.

Regis se tourna vers la caméra.

— Nous sommes prêts, lui dit-il. Nous avons mis un peu plus de temps que prévu, mais nous avons dû charger un logiciel pour traiter le décalage temporel attendu en fin de poussée.

Bella consulta sa montre. Regis avait respecté le délai prévu à une minute près, constata-t-elle.

— Tu vas perdre cette machine, tu en es bien conscient ? Alors s’il y a quoi que ce soit de valeur à bord… lui lança-t-elle.

— Nous l’avons débarrassée de tout ce qui n’est pas nécessaire à cette mission, répondit Regis en attirant son attention sur un petit tas de circuits imprimés flottant devant les yeux de Hinks. Et toi, tu veux toujours continuer l’expérience ?

— Oui. Nous n’avons réussi à capter aucun signal omnidirectionnel.

— Finalement, le problème vient peut-être de nous, tu ne crois pas ?

— Pas nécessairement. Il y avait déjà peu de chance que nous captions quelque chose et nous n’avons peut-être pas cherché dans la bonne direction, les balises peuvent être hors service, quelqu’un d’autre a pu s’attribuer illégalement notre fréquence réservée, etc. C’est un peu bizarre, je veux bien l’admettre, mais c’est justement tout l’intérêt de l’expérience que nous allons mener.

Les roboticiens avaient quitté le sas, qui fut dépressurisé pour permettre son ouverture sur l’espace. Dans la cabine de commandement, sanglé dans un fauteuil de téléopérateur, Fletterick dégagea le robot de sa palette grâce aux micro-poussées de ses propulseurs chimiques.

Sur les flexis plaqués au mur, l’engin, filmé sous différents angles, pivota de tout son long selon un arc de quatre-vingt-dix degrés.

— Une seconde, prononça distinctement Fletterick malgré le bourdonnement des pompes.

Il releva brusquement la visière de son casque d’immersion.

— Tout baigne. Les viseurs d’étoiles sont déconnectés, mais nous pouvons utiliser le compas gyroscopique à la place et…

— Comment ça, « les viseurs d’étoiles sont déconnectés » ? s’exclama Bella.

— Hinks a dû ôter le mauvais circuit. Elle fait ça très bien…

— Eh, j’y suis pour rien ! se rebiffa l’intéressée. Je n’ai ôté que ce qu’on m’a dit d’ôter !

— Nous pouvons nous passer des viseurs d’étoiles, mais le compas a intérêt à indiquer le bon cap ! intervint Bella. Bon, allons-y pour la mise à feu !

Fletterick baissa sa visière et se glissa à nouveau dans la peau du robot.

— On reprend, dit-il à l’engin avant de lui énoncer très clairement toute une série de commandes vocales.

Le robot s’éloigna lentement à bonne distance du vaisseau avant de mettre à feu sa fusée principale. Dès l’allumage, il parut soudain tomber à toute vitesse, comme si on venait de le lâcher du sommet d’un building. La fusée nucléaire brûlerait pendant quatre-vingt-dix minutes avant de s’éteindre et, d’ici là, le robot se serait éloigné d’une demi-seconde-lumière du Rockhopper. Il y aurait plus d’une seconde de décalage entre son téléopérateur et lui, et sa vitesse terminale serait de plus de cinquante kilomètres par seconde par rapport à sa vitesse de départ.

Une vitesse folle, dans l’absolu, sauf que le Rockhopper – et la machine extraterrestre qu’il suivait – se déplaçait dix-huit fois plus vite dans l’autre sens. Autrement dit, au terme de sa poussée, le robot les filerait encore dans l’espace interstellaire, mais un peu plus lentement, c’est tout.

Et il foncerait toujours vers Spica.

En attendant les résultats de l’expérience, Bella retourna dans ses quartiers, dans la zone centrifuge. Elle s’occupa de ses poissons et apprit, dix minutes plus tard, que l’antenne du Rockhopper recevait bien le signal-test du robot. Pas la moindre anomalie au niveau de la réception.

La Terre se taisait toujours.

Au bout d’une demi-heure, Bella appela Belinda Pagis. La jeune femme semblait épuisée.

— Cette expérience ne fait que confirmer ce que nous savions déjà, expliqua-t-elle à sa supérieure. L’antenne fonctionne parfaitement bien, nous en sommes certains, désormais.

— Mais vous ne pouvez pas tester sa sensibilité dans les basses fréquences, en tout cas pas sans recourir à ce robot, lui fit remarquer Bella en tripotant la note technique dont elle s’était imprimé une copie.

— C’est vrai, mais nous n’avons aucune raison de supposer un problème de sensibilité. Et normalement, le signal montant est bien supérieur à notre bruit de fond.

— Dans ce cas, il doit y avoir un bruit parasite qui vient s’infiltrer de quelque part.

Bella lança un coup d’œil furibond à la note technique qui se brouillait et redevenait nette sous ses yeux, à la façon d’un poisson s’agitant sous l’eau.

— Vous avez vérifié le système de refroidissement du préamplificateur ? insista-t-elle.

— Oui, c’est même ce que nous avons fait en premier… soupira Pagis, exaspérée.

— Ne m’en veuillez pas… J’essayais de vous faire des suggestions utiles, c’est tout.

— Ça l’était, eut l’air de s’excuser Pagis, mais on a déjà vérifié les hypothèses les plus évidentes.

— Continuez. Au moins, dans une demi-heure, nous saurons si c’est un problème de sensibilité. Ce sera déjà ça, non ?

— Je suppose, répliqua Pagis avec un manque d’enthousiasme évident.

Bella la laissa reprendre son travail. Les trente minutes qui suivirent lui parurent interminables, comme si le temps s’écoulait de plus en plus lentement au fur et à mesure des annonces. La sonde et le vaisseau maintenaient le contact, mais le signal s’affaiblissait peu à peu. L’expérience se déroulait exactement comme prévu, sans perte de détection imputable à un dysfonctionnement de l’antenne.

Soudain, Bella se rappela qu’elle avait toujours un vaisseau à commander et que Janus était toujours là, prêt à livrer tous ses secrets. Sa boîte de réception contenait une douzaine de messages de Nick Thaïe, chacun contenant la description succincte des dernières opérations qu’il avait menées à distance, comme elle le constata en les survolant rapidement. Contrairement aux communications du vaisseau, les appareils de Thaïe fonctionnaient normalement. Dans son message le plus récent, il demandait à Bella l’autorisation officielle de lancer un robot de l’autre côté de Janus, pour observer sa « face cachée ».

Bella lui accorda le feu vert sans la moindre hésitation. Les aspects techniques de cette mission avaient déjà été passés en revue. Cet engin n’irait pas plus près de Janus que le Rockhopper ne l’était déjà, et les risques encourus semblaient nuls.

Cinq minutes avant que le robot de Fletterick n’atteigne sa vitesse terminale, Bella admit qu’elle ne pouvait plus supporter cette attente. Elle rappela Pagis et lui demanda de la retrouver à la cabine de commande. Toujours sanglé dans son fauteuil, Jens Fletterick remuait à peine. De temps à autre, il chuchotait une mystérieuse instruction à sa machine. Le décalage temporel était devenu flagrant.

— J’ai un truc bizarre à vous raconter, dit Hinks, qui tenait un sac en plastique zippé contenant toutes les cartes qu’elle avait récupérées sur le robot. Cette histoire de viseurs d’étoiles en panne que Jens a essayé de me coller sur le dos, vous vous rappelez ?

Saisie d’un mauvais pressentiment, Bella revint en pensée une heure en arrière.

— Oui, allez-y.

— Nous avons rencontré le même problème avec le robot que Nick vient de lancer… Et pourtant je n’ai pas touché à cette machine !

— Ça n’a aucun sens…

— Comme tout le reste, opina Hinks.

— Une seconde ! Nous devons absolument comprendre ce qui se passe. Un viseur d’étoiles en panne, je veux bien, mais deux, dans deux machines complètement indépendantes ?

Hinks dévisagea Bella. Elle commençait à comprendre.

— Les deux problèmes pourraient être liés, c’est ce que vous pensez ?

— Je l’ignore, mais…

Bella s’interrompit. Jens Fletterick venait de relever sa visière.

— Le robot a atteint sa vitesse terminale, leur dit-il. Tous les systèmes fonctionnent normalement, y compris l’antenne.

Bella se tourna vers Pagis pour qu’elle lui confirme cette information. Belinda avait enroulé autour de son avant-bras un flexi grouillant de graphiques colorés qu’elle annotait à la main.

— Je te reçois toujours cinq sur cinq ! lança-t-elle à Fletterick. Le signal est nickel, aussi, et pile là où il doit être. Maintenant que ton robot n’accélère plus, le Doppler est retombé.

— Et ça représente la force du signal montant de la Terre s’ils émettaient vers nous ? lui demanda Bella.

— Oui, à quelques centièmes près, selon une moyenne modulée.

— Donc, notre système fonctionne bien, apparemment.

Pagis hocha humblement la tête.

— Nous allons continuer à collecter des données pendant que l’engin s’éloigne de nous à sa vitesse terminale, mais si vous voulez mon avis, nous n’apprendrons plus rien de nouveau.

— Poursuivez quand même.

— C’est moi qui suis débile, ou ça devient complètement incompréhensible ? intervint Hinks.

— Vous n’êtes pas débile, lui répondit Bella.

 

Janus
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